André BRETON, Aimé CESAIRE, Wifredo LAM :
UN PARCOURS CONVULSIF

Renée Clémentine LUCIEN, HAH, Université de Paris VIII, CRIMIC (SAL) Université de Paris IV - Sorbonne


Pour qualifier l’époque et les courants intellectuels et artistiques dans lesquels s’inscrit le parcours partagé par les Français André Breton et Aimé Césaire et le Cubain Wifredo Lam, l’adjectif sans doute le mieux approprié est celui auquel a eu recours le mouvement surréaliste pour définir la beauté : « la beauté sera convulsive ou ne sera pas ». En effet, dans la décennie des années quarante, la Révolution surréaliste autour de laquelle s’opère la rencontre des trois hommes et artistes se manifeste dans la convulsion des guerres, la rupture avec des systèmes de valeurs, le bouleversement des codes de représentation, et la quête subversive d’une certaine authenticité des relations entre l’homme et le monde.
Lorsque le peintre cubain Wifredo Lam arriva à Paris en 1938, après avoir combattu, les armes à la main aux côtés des républicains espagnols, ce fut Pablo Picasso qui le mit en présence d’André Breton et du poète Benjamin Péret.
La relation qui se noua alors entre deux hommes mal contents de leur époque, à partir de cette année 1939, sur la base d’une convergence idéologique –le refus du fascisme et du conformisme- et d’une confrontation entre la poésie et la peinture, se prolongea dans une collaboration artistique et fraternelle. La recherche par Lam d’une nouvelle voie, qui défiait les codes de représentation du réalisme pictural, ne pouvait que trouver un puissant écho chez un Breton fervent de « l’alchimie du verbe » d’Arthur Rimbaud, qui avait fait la preuve de son hostilité à l’égard des valeurs usées du monde occidental que le rationalisme avait détourné « du lointain intérieur » cher aux surréalistes, et qui avait voyagé au Mexique en 1938, attiré par le primitivisme en peinture. En 1940, l’illustration du livre du livre de poèmes de Breton, Fata Morgana, par le Cubain suscita la fureur du gouvernement de Vichy.
Arrivés à la Martinique en 1941 sur le vapeur Le Capitaine Paul-Lermerle en route vers les Etats-Unis, et où avaient pris place plus de trois cents artistes et intellectuels considérés comme des indésirables par le régime de Vichy, André Breton et Wifredo Lam y firent une rencontre décisive dans l’histoire du surréalisme. Le poète Aimé Césaire, qui animait avec sa femme Suzanne et René Ménil la revue Tropiques, avait publié le Cahier d’un retour au pays natal et poursuivait sa création d’une œuvre convulsive qui se situait dans le droit fil des attentes thématiques et esthétiques de Breton. Par ailleurs, pour Wifredo Lam, le métis de Mulâtre et de Chinois, la découverte de « la négritude » césairienne, de l’imaginaire exalté du poète, de la force originelle magique et tellurique du monde noir opprimé traduite par son œuvre, fut un choc, et sa peinture en fut bouleversée. Cette rencontre entre les trois hommes fut féconde et ses retombées remarquables. Le Cahier allait être publié en version bilingue en 1943 à Cuba, traduit par Lydia Cabrera, tandis que l’édition précédée par une préface de Breton écrite en 1944 paraîtrait en 1947 grâce aux soins de l’édition Bordas. Quant aux œuvres de Wifredo Lam réalisées après son retour à Cuba, au nombre desquelles compte l’éblouissante Jungla, elles portent indubitablement l’empreinte de son passage par l’île voisine. La collaboration ne s’arrêta pas là, se prolongeant par l’illustration de livres de poèmes de Césaire par Wifredo Lam.
Nous suivrons l’idée que, de la convergence entre la force motrice révolutionnaire du surréalisme français portée par Breton et l’irrépressible poussée subversive d’enrichissements particuliers venus de ces deux hybrides que sont Lam et Césaire, a surgi, au bout du compte, l’expression d’une singularité. Dans le cas de Lam, il s’agit d’une véritable synthèse aboutie de formes et de sensibilités multiples. Un dénominateur commun a réuni ces trois artistes, retrouver un Homme à l’écoute du monde et de la complexité universelle.