Le Grand Orient de France
dans la tourmente maçonnique cubaine (1862-1905)
Aujourd’hui encore, l’histoire de la franc-maçonnerie cubaine peine à se libérer des stigmates laissés par près d’un siècle d’études « ascientifiques, polémiques, partiales, pseudo historiques et pamphlétaires », pour reprendre les termes d’Eduardo Torres-Cuevas. Elles sont en effet à l’origine d’une histoire biaisée de l’Institution à Cuba, interprétée à tort depuis le prisme de l’indépendantisme et d’où sont systématiquement écartés ceux qui l’ont réellement nourrie : les autonomistes et les conservateurs. Cette histoire de la franc-maçonnerie cubaine néglige par ailleurs un aspect essentiel du fonctionnement et de la légitimité d’une obédience maçonnique, à savoir les relations extérieures qu’elle entretient.
Si les obédiences cubaines ont, dès la seconde moitié du XIXe siècle, multiplié les demandes de reconnaissance auprès des Grandes Loges et Grands Orients du monde, c’est assurément pour obtenir celle du Grand Orient de France (GODF) qu’elles ont montré le plus d’opiniâtreté. Cette facette de l’histoire maçonnique cubaine n’a pourtant pu être mise en évidence qu’en janvier 2003, par l’étude d’un fonds d’archives maçonniques inédit – le « Fonds Soviétique – que le GODF lui-même croyait disparu depuis plus de cinquante ans. Les pièces qu’il renferme – surtout des lettres des autorités maçonniques cubaines et espagnoles – jettent un éclairage nouveau en replaçant notamment les autonomistes au centre des échanges officiels, réalité occultée par les historiens classiques. Ces archives permettent en outre d’établir certains postulats conduisant à l’ébauche d’hypothèses de recherche :
En premier lieu, que le GODF ne considérait les obédiences cubaines que depuis une logique coloniale et défendait de ce fait ce que nous pourrions appeler un « colonialisme maçonnique » . Ensuite que la franc-maçonnerie cubaine se trouvait au centre d’un triangle diplomatique maçonnique formé par les obédiences espagnoles, étasuniennes et françaises. Dans cette configuration, le GODF faisait figure de médiateur entre les franc-maçonneries cubaines et espagnoles alors que les obédiences étasuniennes n’y intervenaient qu’indirectement, par une influence idéologique qui déterminerait pourtant l’évolution de la pensée maçonnique à Cuba et certaines prises de positions des maçons cubains. Et enfin que les relations maçonniques franco-cubaines étaient le plus souvent un corollaire de l’évolution des relations non maçonniques entre la France, l’Espagne et Cuba.
Il s’agira donc de mettre en évidence les interventions directes ou indirectes du GODF dans la franc-maçonnerie à Cuba, en les resituant dans le processus de formation et d’affirmation d’une identité maçonnique cubaine. Cela permettra d’évaluer leur importance pour les maçons cubains de Cuba mais aussi pour ceux de France car, lieux de sociablité incontournables, les loges ont assurément pu constituer, à certains moments, une voie d’intégration pour la colonie cubaine de Paris.